Tranche aussi tonique qu'une méduse
Pour comprendre comment un mignon petit CP est devenu ma bête noire, il faut que je vous explique comment se déroule une séance de lecture. D’abord on regarde une jolie affiche accrochée au tableau avec un joli dessin, les élèves racontent ce qu’ils voient, je rectifie les phrases bancales, pose des questions, invite à compléter, bref on papote un peu. Ensuite j’ouvre le tableau et dévoile le texte. Texte qu’ils ont sur leur livre, mais c’est plus simple que tout le monde suive au tableau en même temps (ce que j’avais zappé pour la première séance, des fois on se rend pas compte, on fait une boulette, mais on la fait pas deux fois croyez-moi). Texte qui se résume pour le moment à 2 ou 3 lignes genre « marou est un chat, ratus est un rat », vous notez la richesse du propos, mais c’est pas fait pour ça de toute façon, d’abord faut leur apprendre à reconnaitre les lettres et les sons, ici on parlait du « a ».
Le but du jeu n’est pas de lire la phrase, ils en sont incapables à ce stade. Le but, c’est de se dire « tiens ce mot là il commence par un M comme dans mon prénom » ou « ce mot là je le connais c’est le même que sur l’affiche, c’est marou » (ils ont des petites affiches avec les personnages du livre et leur nom écrit dessus). Bref c’est de la devinette qui tourne parfois à la bataille genre à propos de « chat » « c… c’est écrit « coralie » ! » « mais non ça peut pas être « coralie », dans coralie on entend le « i » et dans ce mot ben y’en a pas de i ! ». Ce qui démontre que le gamin a parfaitement compris ce qu’on attend de lui, il cherche des indices, il vérifie ses hypothèses…
Et tout ceci serait génial sans un petit grain de sable dans les rouages. Imaginez un gamin qui redouble son CP parce qu’il ne sait toujours pas lire, que son niveau est trop faible pour suivre en CE1. Ca ne signifie pas qu’il est stupide, la preuve il a une bonne mémoire. Il se souvient très bien des premières leçons, faut dire que retenir deux phrases, c’est à la portée de tout le monde. Et donc le gamin il se souvient que la première leçon du texte c’est « marou est un chat, ratus est un rat » puisque avant d’avoir dévoilé le texte, il avait déjà crié la réponse sans lever la main (ce qui est un autre problème). Et donc les autres ont vite compris, ça leur évite de faire l’effort de chercher, certains ont juste répété bêtement, mais quand je leur montrais un mot au hasard, pfuit, impossible de me dire ce que c’était. Et j’ai vérifié, le gamin pénible ne sait pas lire, il a juste retenu les textes. J’espère qu’il n’a pas appris tout le livre, sinon je vais devoir le museler.
D’autant que ma patience est mise à rude épreuve, la première semaine, j’ai eu mal au crane du mardi midi au samedi soir (mention spéciale au voisin qui a joué de la perceuse tout le samedi, j’ai cru abriter une rave party dans ma tête), les chats ont fait la foire tous les soirs, courses poursuites, sautages sur le lit, ouverture des portes, miaulements (et ça continue, dans une moindre mesure, il finira bien par comprendre que quand on est au lit on a pas envie de jouer avec lui), on a reçu des tonnes d’infos, et j’avais aussi perdu l’habitude de suivre 7h de cours dans une journée. Et l’IUFM c’est pénible. Pour un cours à 8h je dois me lever à 6h30, à force de les porter je ne supporte plus mes lentilles, d’où un certain nombre de désagréments (yeux rouges, crises de photophobie, parfois je mets les lunettes de soleil avant même que le soleil se lève tellement la lumière me blesse, fatigue oculaire…). Sans oublier la contrainte de la vie de groupe, le premier jour j’ai voulu aller manger mon pique-nique à la cafétéria, j’avais tellement mal à la tête que le bruit m’était insupportable, depuis je mange seule dans la salle de cours, ça me repose.
Je recommence d’ailleurs à regarder la nourriture d’un œil de poisson mort, il m’arrive parfois de lui demander pourquoi elle m’en veut, la dernière fois j’ai cru entendre un petit pois se foutre de moi, c’est un complot, j’en suis certaine. J’espérais que mes nouveaux horaires réguleraient mes prises de nourriture et que je perdrais du poids automatiquement, il semblerait que non, d’autant que la fatigue me détourne de la cuisine et me pousse vert du vite-fait réconfortant, un bout de fromage, des pates… Plus l’énergie de cuisiner, de faire la vaisselle, le ménage, le seul sursaut d’énergie de la semaine a été consacré à l’achat d’un immense bureau rien que pour moi, c’est officiel, c’est le dernier meuble en kit que j’achète, on y a passé deux jours ce fut affreux. Mais le résultat est à la hauteur, j’ai un vrai coin à moi pour bosser, ranger mes trucs d’école et exposer à nouveau mes chers petits Nohohons. Je me suis enfin offert le livre de Zermati, je crois que je vais tenter sa méthode même si elle va à l’encontre de tout ce qu’on nous apprend en nutrition. Par exemple, le petit dej’. Pour tout le monde, il faut se forcer à manger le matin sinon on mange plus le midi et on grossit. Pour lui, si on n’a pas faim le matin, c’est qu’on n’a pas encore besoin de manger, mieux vaut attendre la faim, et s’emporter une collation au besoin. Comme chaque petit dej’ me met au supplice pour le moment, j’expédie ça comme une corvée, sans plaisir, sans envie, pourtant c’est bon les Chocapics normalement, je regarde la télé pour éviter de penser à ce que je mange, je zappe entre les infos super sérieuses de I Télé et les nombreux Téléachats.
Et puis maintenant que le Koala a rebranché tous les fils de la Wii, je dois me remettre au sport, j’espère me plier à ce nouveau rythme assez vite, le linge, la vaisselle, la bouffe, le ménage et le sport se feront pas tout seuls (le Koala refuse de jouer les elfes de maison plus longtemps, et le mode survie ne sera pas viable toute l’année). D’ici ce soir, je promets de descendre les cartons du bureau, la poubelle, de faire un peu de sport, d’ailleurs j’y vais de ce pas, puis je me douche et je descends les poubelles, ensuite je ferai le repas, une soupe en sachet me semble le menu idéal, et je finirai la soirée devant la télé avec la montagne de linge qui m’attend. Et je cesserai d'avoir un corps digne d'une méduse crevée.